L'histoire du Royaume des vivants est aussi ancienne que variée. De nombreuses tragédies ont été englouties par les soubresauts du temps. Oubliés à jamais furent ainsi de vastes empires, des tyrans iniques et des générations entières. Même ce qui a été précieusement conservé, au sein de tomes et de parchemins éparpillés aux quatre coins des continents, est émaillé d'une foule de points d'interrogation. Peut-être convient-il d'examiner ce que l'on sait, ou que l'on croit savoir, pour en tirer nos propres conclusions ? Après tout, comment faire confiance à celui ou celle qui est partie prenante de ces événements ? Seul le sage, qui se tient à l'écart, peut démêler la vérité des fils jumeaux de la légende et du mensonge. Alors, commençons par le récit de ces formidables guerriers dont les exploits jetèrent les fondations du monde tel que nous le connaissons.

Les Quatre Gardiens

Il y a mille ans de cela, l'empire des Naryu régnait sans partage sur le monde. Exploitant les ressources mystiques des pierres d'âme extraites des entrailles de la terre, les Naryu maîtrisaient les arcanes d'une technologie fabuleuse, source de leur domination. De nos jours, seules en témoignent des ruines à moitié oubliées et les carcasses enfouies de leurs incroyables machines. C'est l'orgueil des Naryu qui entraîna leur perte. Ils voulurent aller trop loin. Surtout, peut-être, creusèrent-ils trop profondément. Tant de pierres d'âmes furent rapportées à la lumière du jour que leur énergie perturba la quiétude du continent. Un pont branlant fut ainsi jeté au travers du gouffre qui sépare le Royaume des vivants de celui des ténèbres. Par ce passage, insidieusement, le Qi impur s'engouffra, corrompant le monde. Sur les ailes de ce vent de gangrène une armée de démons se jeta à l'assaut, massacrant tous ceux qui avaient l'infortune de croiser son chemin. L'empire des Naryu ne résista pas à ces horreurs. Bientôt, cette lame de fond menaça de submerger le monde tout entier.

Le Royaume divin n'allait pas se tenir à l'écart, alors que, les unes après les autres, les lumières des cités mortelles étaient soufflées par les ténèbres. Tandis que les démons cherchaient à étayer durablement le chemin reliant le Royaume des vivants au Royaume des ténèbres, résonna soudain le céleste appel aux armes. De tous les êtres peuplant le Royaume des vivants, quatre grands maîtres en arts martiaux furent choisis pour mener le combat. Mushin, le Poing divin et l'héritier de la dynastie des Naryu. Jiwan, la Juste Lame. Iksanun, le Rôdeur. Hong Sokgyun, le plus âgé des Quatre Gardiens, si puissant qu'il entra dans l'Histoire sous le surnom de Trembleterre. Il est dit que les esprits divins offrirent aux héros une arme aux origines inconnues et d'une puissance incomparable, la Lame du crépuscule. À en croire la légende, l'artefact pouvait changer de forme pour s'adapter à celui qui le maniait et avait le pouvoir de repousser les ténèbres. L'arme en leur possession, et dotés de la bénédiction mystique du Royaume divin, les Quatre Gardiens affrontèrent l'ost démoniaque. Ce fut une bataille comme le monde n'en avait jamais vu.

J'aimerais pouvoir vous narrer une fin heureuse. J'aimerais pouvoir vous conter comment bravoure et justice triomphèrent et sauvèrent le monde d'un destin funeste. Hélas, il ne devait pas en être ainsi... Acculés, les démons essayèrent d'invoquer leur maître, le Seigneur des ténèbres lui-même, à travers le Portail ténébreux. Confronté à l'incommensurable péril, Mushin n'hésita pas. Avec l'énergie du désespoir, il franchit le portail et le referma de l'intérieur, se sacrifiant pour empêcher le Seigneur des ténèbres de fouler au pied ce monde qu'il aimait tant. À la lutte contre les derniers démons, ses compagnons n'eurent pas le temps de pleurer sa disparition. Et s'ils réussirent finalement à terrasser leurs adversaires ce jour-là, tout au plus retardèrent-ils l'inévitable. La corruption du Qi impur avait souillé le monde et il était écrit que son influence se manifesterait à nouveau.

L'empire de Stratus

Des siècles s'écoulèrent. L'épopée des Quatre Gardiens devint histoire, puis légende. Le monde s'épanouit à nouveau. Sur les cendres des terres autrefois dominées par les Naryu fleurirent d'autres civilisations. Sur le continent austral émergea ainsi l'empire du Stratus. Bientôt, son influence s'étendit à tout le Royaume des vivants. Si l'empereur siégeait dans sa capitale, ses trois fils les plus âgés gouvernaient les continents d'Orient, d'Occident et du Septentrion. Quant au cadet, le prince Wan, ses épaules étaient encore trop frêles pour endosser de telles responsabilités. Il restait aux côtés de son père et profitait de ses leçons, se préparant au jour lointain où il devrait s'asseoir sur un trône. Ce jour lointain se révéla néanmoins bien plus proche que prévu, et le jeune prince n'eut pas le loisir d'achever son éducation. À la mort de son père, et avec le bien de son peuple en tête, il n'eut d'autre choix que de reprendre les rênes du pouvoir.

De ce moment fatidique, l'éclat de l'empire du Stratus fut terni par l'ombre de la tragédie. Ainsi, les affres de la jalousie consumaient les trois frères aînés, chacun persuadé d'être plus à même de régner. Des désirs aux actes, il n'y a parfois qu'un modeste ru que l'on appelle raison. Il fut franchi avec allégresse, et l'empire du Stratus bascula dans une époque de troubles et de guerres, où les hommes se dressaient les uns contre les autres, une ère de chaos, propice au retour de l'énergie qui l'engendre et s'en nourrit, le Qi impur. Si les détails demeurent nébuleux, la tragédie frappa le continent oriental au cœur, il y a trente ans, lorsque sa capitale, le Centre des Hautes-terres, fut envahie par une horde de démons. Le prince Sobu et sa sœur, la princesse Solaan, tombèrent pendant le sac de leur fière cité, alors que des forces maléfiques menaçaient d'ouvrir un nouveau Portail ténébreux. Ce jour-là, le monde découvrit que les Gardiens, qui l'avaient jadis sauvé, le protégeaient toujours. L'énergie divine leur avait permis de survivre au poids des siècles et, avec le concours des Bêtes sacrées de la terre, ils réussirent à repousser l'envahisseur impie une fois de plus. La cité fut perdue, mais le monde sauvé.

Pourtant, l'empire du Stratus, vulnérable et désorganisé, n'en était pas à la fin de ses malheurs, car l'armée elle-même devint alors source d'inquiétude. Désertions et trahisons se firent monnaie courante. Sur le continent oriental, l'un de ses généraux les plus prestigieux, Yunma Kahn, fonda même son propre royaume, l’empire de la Tempête, qui devait vite s'imposer comme une puissance avec laquelle il fallait compter. Quant à l'empire du Stratus sur le continent austral, moribond, il n'en finissait pas de rendre son dernier soupir... Les deux nations, toujours assoiffées de pouvoir, mais rongées l'une comme l'autre par la corruption et les troubles à l'ordre civil, sont désormais engagées dans un duel à mort.

De nos jours...

Le monde moderne repose sur de sinistres fondations antiques : les os de guerriers déchus et les cendres de leurs vies brisées. Le moindre territoire est disputé, la moindre ressource exploitée. Il en va de même de la population, le fort imposant sa loi au faible. Du moins cette époque troublée est-elle propice au développement des arts martiaux, en influence, comme en nombre de pratiquants. Certains de ces derniers se sont d'ailleurs proclamés défenseurs des petites gens. Des guerriers à l'âme juste et au sens moral irréprochable se rassemblent ainsi pour mettre leurs talents au service de la veuve et de l'orphelin. De ces groupes, le Conseil des Huit, est sans doute le plus célèbre. Hélas, l'absence des Gardiens se fait sentir vivement aujourd'hui encore. Pour lui dérober la Lame du crépuscule, l'infâme Jinsoyun a tué Jiwan il y a des années. Heureusement, Hong Sokgyun a abattu la misérable avant qu'elle ne puisse s'emparer de l'arme mythique. Grièvement blessé pendant ce combat, Iksanun s'est, quant à lui, retiré à l'écart des affaires du monde.

Nul ne sait où mène ce dangereux chemin... Mais une chose est sûre, le Qi impur poursuit son œuvre insidieuse. La corruption s'étend, la souffrance également. Cette fois, les héros du temps jadis ne surgiront plus des limbes de la légende. Non, en vérité, la fin du monde approche à grands pas. Il ne subsiste qu'un mince espoir. De nouveaux héros se dresseront-ils pour contrer cette fin inéluctable ?